Le visible et l’invisible

Le visible et l’invisible

Les masques et les marionnettes présentés sur ce site ont été réalisés sur mesure pour des acteurs ou des danseurs. Ils sont le fruit de rencontres, de recherches menées avec des metteurs en scène, des chorégraphes, des équipes de création. Textes, univers de référence, échanges, étapes de travail au plateau, espaces de représentation, guident mes choix : demi-masque, entier, cagoule, aux arêtes franches, aux lignes plus ou moins adoucies, plus ou moins humaines, etc. Après prise d’empreinte de l’interprète, la forme du masque est modelée puis soit moulée, soit thermoformée. Le masque est ensuite réalisé dans des matériaux qui varient également en fonction des projets.

Enfant je passais beaucoup de temps à observer les visages, à les griffonner, à bricoler des marionnettes. Plus tard, c’est à l’école Jacques Lecoq que j’ai compris que le masque, sa nature enfantine et tragique, allaient me permettre d’exprimer mon rapport au théâtre et au monde. Je suis allé à Padoue m’initier aux techniques de fabrication de masques en cuir auprès de la famille Sartori : lignes, plans, économie d’effets. Encore aujourd’hui toutes ces notions continuent d’être fondamentales dans mon travail.

Pour autant je me suis considérablement éloigné de la commedia dell’arte .En premier lieu, la découverte du travail de Werner Strub (qui créait les masques pour Benno Besson) m’a montré la possibilité d’une recherche où l’utilisation des matières, le traitement des couleurs et la notion même de masque étaient des territoires ouverts, à explorer. Puis la confrontation à certains textes et la collaboration avec une jeune génération de metteurs en scène m’ont conduit à la recherche d’une sculpture moins grotesque, qui part de la question du visage, de sa nature insaisissable, et des problèmes que soulève sa représentation.

Que nous dit le visage de la personne ? A la fois beaucoup, et en même temps on sait bien que c’est périlleux de trop se fier à un ressenti, ou de vouloir établir des catégories. Il est plutôt question de visible et d’invisible, d’un équilibre d’impressions et de traces, d’ une dimension humaine mouvante, fugace, parfois trompeuse. C’est ce que je cherche à capter… Même pour des masques à forte charge comique ou humoristique, le masque ne doit pas réduire le personnage à un cliché, à un code. A chaque étape du travail, je vise une proposition poétique épurée, vivante, qui résonne aujourd’hui, et en même temps ouverte, en suspension. Le dialogue futur du masque et de l’acteur devra permettre au spectateur de projeter ses propres images, être un support capable de déclencher l’imagination. De manière à favoriser ce processus, je me suis peu à peu intéressé à la tête entière, aux chevelures et je continue de chercher des solutions techniques qui mêlent matières brutes (tissus, fibres végétales, carton) et composites (silicones et résines).

Plus j’avance, moins j’ai de certitudes. Tout en m’appuyant sur mon expérience, je me méfie des méthodes, des recettes, des règles. Les masques souffrent de l’intérêt que leur portent des «spécialistes». Nous avons eu de grands pédagogues en Occident mais on ne peut pas réellement parler de la transmission d’une tradition, il y a eu coupure et réinvention. Et c’est aussi notre chance. Nous pouvons continuer de chercher, essayer, inventer.